Harper regarda Parjure, son berger allemand, dans le panier qu’elle lui avait attribué. Ce dernier releva la tête, gémit doucement, avant de s'asseoir complètement. Etait-il déjà l’heure de la promenade ? L’animal répondit à sa question silencieuse en gémissant plus fort. D’accord. L’avocate leva les mains, reposa le dossier sur lequel elle planchait depuis maintenant trois heures. Se levant, elle attrapa la laisse, et son bébé se leva précipitamment comme en réponse. Même pas besoin de prononcer le mot magique, cela la fit sourire. Elle l’emportait avec elle au bureau les jours ou elle n’avait pas de rendez-vous client, autant dire qu’Harper faisait tout pour en caser le maximum en une journée. Parjure n’aimait pas être seul, et quant à elle, elle détestait lui faire de la peine.

Reprenant bien vite son apparence de reine des garces, elle sortit de son bureau, se dirigea vers l'ascenseur en ayant toujours son dossier en tête. Son animal, placide normalement, commença à s'agiter. C’était un signe qui ne trompait pas, cette Madeleine de merde était en approche. Qu’avait-elle fait ce matin qui mérite son attention ? Ah oui, elle lui avait dérobé un stylo cher. Puéril ? Harper s’en fichait. Quitte à boulotter quelque chose, autant faire chier sa rivale et gober le Montblanc qui traînait négligemment sur son bureau. Etait-ce pour ça ? Ou alors c’était parce qu’elle lui avait volé un gros client hier, convainquant leur patron de lui filer le dossier parce qu’elle était plus compétente. Boarf, c’était de bonne guerre, et ce dernier adorait les mettre en compétition. Selon ses termes, elles n’étaient jamais plus productives qu’en se crêpant le chignon. Cela lui faisait chier de l’admettre, mais c’était vrai. C’était ça ? Ou Maddy voulait encore la pousser dans ses retranchements, lui voler son énergie, comme un moustique ponctionne sa proie. Elle ne saurait pas tant qu’elle ne la confronterait pas.

Les portes s’ouvrirent, et Harper passa en première. Se retournant, elle adressa un sourire acide à sa rivale de toujours, lui montrant à quel point elle était heureuse de la voir à ses côtés de si bon matin. Purée, cette saleté était toujours aussi belle. Aussi bien habillée. Heureusement, la rousse refusait d’être en cran en dessous, et faisant des efforts surhumains pour être au même niveau que son ennemie.

- Tu as perdu quelque chose, Madeleine ?

Ses talons claquants sur le sol, elle dévisagea la femme qui lui faisait face. Aujourd’hui, Harper avait une veste et un pantalon bleu, et une chemise blanche en dessous. Elle adorait rappeler cette couleur à Maddy, pour lui montrer qu’avec elle dans les parages, ses affaires ne seraient jamais en sécurité.

- Bon, tu montes dans cet ascenseur oui ou merde ?

Parce que la rousse n’avait pas non plus la patience pour tolérer trop longtemps cette garce, elle voulait en finir le plus rapidement possible.

La semaine avait bien mal commencé pour Madeleine qui s'était fait prendre sous le nez un contrat par sa rivale de toujours travaillant ironiquement dans la même entreprise depuis le monde des rêves, ce qui n'était pas bon pour son palmarès de victoires dans le cabinet - et sur la brune. En plus, depuis ce matin, impossible de remettre la main sur son stylo fétiche, celui que ses parents lui avaient offert lorsqu'elle était entrée à Harvard et qui ne l'avait jamais quittée depuis. Et pour finir, elle n'avait pas mangé depuis deux jours et commençait à sentir les effets de l'appétit qui se manifestaient chez elle en amont par une humeur désagréable - avant d'arriver dans la case malaise et compagnie. Elle le sentait donc généralement parce qu'elle devenait plus exécrable et moins charmeuse, plus piquante et moins joueuse.

D'un autre côté, s'il y avait bien une chose qui la mettait de bonne humeur en toute circonstance, c'était de foutre la merde dans la vie d'Harper Moore. Pas besoin d'être au top de sa forme pour avoir la délicieuse envie de lui ruiner sa journée - ou sa pause déjeuner - aussi quelle aubaine de la croiser devant la porte de l'ascenseur.

Alors qu'elle saluait le chien qui venait à la rencontre de sa main avant de retourner aux pieds de sa maîtresse, elle eut une réponse quant à la disparition de son stylo. Cette garce l'avait bouffé comme une bonne partie de ses affaires, et pour cela elle allait payer.

« Merde. »

Répondit-elle sans même lui adresser un regard alors qu'elle entrait dans l'ascenseur pour venir se placer dans une posture droite et fière à côté de sa rivale. Elle appuya sur le bouton du rez-de-chaussée sans demander à la brune quel étage elle souhaitait ; qu'elle aille se faire foutre et appuyer toute seule sur son bouton si elle voulait rejoindre un autre endroit que le terminus.

« T'es un bon chien toi, tu le sais ça ? »

Gagatisa un instant Madeleine avec un air exagéré avant d'ajouter, toujours sans regarder son interlocutrice - histoire de lui manquer de respect jusqu'au bout :

« Dommage que ta maîtresse soit une connasse de voleuse. »

Ce n'est qu'après cette insulte directe qu'elle daigna enfin poser les yeux sur sa rivale, un air mauvais sur les traits. Cette garce avait gobé son stylo fétiche, un des rares liens qui la maintenait encore d'une certaine façon à sa famille perdue de l'autre côté de cette ville des rêves. Et si l'envie était forte de s'agripper à elle pour lui plomber son énergie et se repaître pour les jours à venir, elle avait envie de la jouer plus subtilement et moins sauvage. Après tout, elle était du genre distinguée et n'avait pas envie qu'un collègue la surprenne en train d'écraser Harper contre la paroi de l'ascenseur pour lui drainer un maximum d'énergie par la force. Non, elle avait déjà une idée et elle serait plus sournoise.

Harper jubilait intérieurement. Cela ne se voyait pas sur son visage placide, mais elle adorait faire du mal à cette femme. Lui avoir volé un stylo auquel elle tenait, c’était jouissif. C’était ce qui mettait chaque jour un peu plus de piquant dans sa vie. Ce qui lui donnait de la bonne humeur le matin en se levant. Certains se demandaient ce qu’ils allaient manger, appréciaient le contact de leur conjoint, elle, elle réfléchissait au prochain moyen d’emmerder sa rivale. C’était ridicule, n’importe quel psy lui dirait qu’elle avait un problème, mais l’avocate s’en fichait. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle voulait emmerder Madeleine, et si possible à la puissance maximum. Sale gosse de riche, elle n’avait qu’à s’en racheter un, de Mont-Blanc. Elle avait les finances pour, la garce.

Rien qu’à voir sa camarade garder le dos droit, lâcher une insulte dans l’air vicié de cet ascenseur, c’était autant de petits bonheurs qu’elle savourait à présent. Maddy appuya sur le rez-de-chaussée, non sans dire bonjour à Parjure, qui lui sauta pratiquement dessus le traître. Non mais sérieusement, il n’appréciait personne comme elle, c’était à croire qu’elle cachait un steak dans sa veste. Harper ne savait pas que Bagréal Maddy avait, mais cela ne l’aurait pas étonnée que ce soit un truc avec les animaux.

- Fais attention Maddy chérie, je pourrais finir par me sentir insultée.

Harper était froide, c’était sa marque de fabrique. Une porte de prison qui ne laissait filtrer aucune émotion. Alors malgré ses propos, son ton avait été polaire. Comme si le second degré, même si elle si essayait, n'arrivait pas à franchir la barrière de ses lèvres. Le chérie dans sa phrase précédente en était la preuve. Dans la bouche de Maddy, il aurait été joueur, charmeur, alors dans la sienne il sonnait comme une insulte. Le fait que sa rivale ne la regarde pas était puéril, à son image. Non, c’était presque mignon. Bon sang, ce qu’elle était belle quand elle était énervée. Le regard d’Harper était condescendant, alors qu’elle ne pouvait s’empêcher de trouver la femme à ses côtés d’une beauté à couper le souffle.

Ouep, elle avait vraiment un problème. Il était temps de mettre les voiles. Ménageant son effet, elle attendit quelques secondes, le temps que l'ascenseur descende et ne soit presque à destination pour continuer :

- Soit gentille, mets-y un peu plus d’effort la prochaine fois…

L’ascenseur sonna, et elle sortit en première, son chien sur les talons. Parjure allait avoir une bonne promenade, et était content d’avance. Chaque fois qu’Harper croisait Maddy de cette façon, elle restait plus longtemps dehors pour se calmer.

L'air pince-sans-rire de sa rivale de toujours avait le don à la fois de l'agacer et tout en même temps de lui faire très plaisir. Elle savait, elle connaissait les cordes sensibles à force de la côtoyer pour diverses raisons - étudiantes à l'époque et professionnelles aujourd'hui - et avait conscience que derrière ce masque de froideur qui menaçait de s'effriter à chacune de leurs joutes, il y avait une personne qui cachait bien ses émotions. Le besoin de contrôle excessif n'était plus à cacher : Harper avait bien des problèmes à résoudre, à commencer par son obsession pour Madeleine.

Une obsession bien réciproque, même si elle ne prenait pas une forme similaire, mais plutôt celle du jeu et de la provocation pour la blanche. La rousse réagissait si bien à ses piques que c'était difficile pour Maddy de se passer de leurs échanges corrosifs. Il fallait croire qu'avec le temps elle s'en était fait une addiction, car personne ne savait la divertir autant que sa harpie préférée.

« Oh ne t'en fais pas pour moi trésor, je sais exactement ce que je fais. »

Répondit-elle avant de quitter à son tour l'ascenseur tout en enfilant une paire de lunettes de soleil bien opaques, de quoi dissimuler l'opération à venir. Elle attendit d'être à proximité de l'accueil de l'immeuble immense qui leur servait d'entreprise pour rattraper sa camarade et venir s'appuyer sur son épaule.

« Attends bouge pas. »

Commença elle tout en pliant sa jambe vers l'arrière pour faire mine de trifouiller son escarpin.

« J'ai un gravier dans ma chaussure je crois. »

Elle dissimula son sourire mesquin derrière une moue concentrée, comme si elle était réellement en train de chercher à résoudre le problème, profitant de cette posture pour intensifier le contact et enfoncer ses ongles dans l'épaule de sa rivale à travers le tissu. Elle se nourrissait, tandis que ses yeux luisants étaient cachés derrière la barrière des lunettes qu'elle avait enfilé précédemment.

Ainsi de l'extérieur la scène ressemblait juste à deux collègues côte à côté, l'une essayant de se démener avec sa chaussure et l'autre la soutenant. Il aurait été mal vu, surtout à l'accueil du bâtiment, de repousser sauvagement Madeleine sans passer pour une connasse. Et elle en avait parfaitement conscience, savourant son repas tactile sans trop en prendre non plus pour ne pas lui causer un malaise violent devant tout le monde.

Madeleine avait les mains chaudes, c’était un problème de taille, compte tenu du fait qu’elle avait la patte sur son épaule. Qu’elle y enfonçait ses ongles pour se repaître. Lui pompant son énergie comme une succube pompe sa proie. Ouais, elle savait exactement ce qu’elle faisait, c’était sûr, l’empêchant de bouger alors qu’elle allait lui laisser un bleu dans l’épaule. Harper ne pouvait pas la repousser, pas sauvagement, parce que des collègues à elles arrivaient dans l’autre sens. Parce qu’ils pourraient les voir, et qu’elle ne tenait pas à réduire en cendre le peu de réputation qu’il lui restait. Maddy le savait. C’était bien joué.

Sale garce, elle n’en manquait pas une. Farfouillant dans sa chaussure pour y enlever un cailloux imaginaire. Le pire, c’était qu’Harper ne savait pas comment faire pour s’y soustraire. Elle regarda son chien en désespoir de cause, mais Parjure était trop occupé à renifler un carré d’herbe pour qu’elle ose le déranger. Bon sang, il était en train de se salir. Dans quelques instants, il allait se rouler dans la boue, l’avocate en était sûre. Oh, une idée diabolique germa dans son esprit. Très bien, Maddy voulait jouer au plus con, elle allait être servie. D’un ton toujours aussi vivant, l’avocate demanda :

- Ça y est, le moustique a fini de me pomper ?

Harper n’en doutait pas une seule seconde, sa rivale prenait son pied. Elle pouvait la voir cacher son petite air mesquin, mais quel dommage, personne ne pouvait faire mieux qu’elle quand il s’agissait de décrypter cette femme. La rousse connaissait par cœur le moindre centimètre carré de son visage, de sa façon de s’exprimer, d’agir. Faire chier Madeleine était une composante si ancrée dans sa vie qu’elle ne pourrait jamais s’en passer.

Attendant longtemps, trop longtemps que Maddy termine de manger, elle la laissa finir, avant d'appeler son doggo plein de terre. Vérifiant rapidement qu’il n’y ait personne derrière elle, elle le siffla. Ce dernier fonça sur elles, et au moment où il allait lui faire la fête, l’avocate se recula précipitamment, attrapant une Madeleine encore déséquilibrée par le fait de repositionner sa chaussure par les épaules pour la mettre sur son chemin. Cela ne manqua pas, il lui sauta dessus, les pattes pleines de terre, essayant de caler sa truffe humide dans le cou de sa grande ennemie en gémissant.

- Oh non, ton tailleur est tout sali. Parjure, vilain garçon.

Mais son ton n’était absolument pas dur, son regard mort reprennant quelques couleurs, pas grand chose, mais assez pour signifier son amusement. Si elle avait pu jubiler, l’avocate l’aurait fait. Sa rivale était pleine de boue, ses habits étaient bons pour aller chez le pressing, alors qu’il n’était même pas dix heures du matin. Forçant son chien à redescendre de Maddy, elle lui flatta l’encolure, en essayant de ne pas toucher les zones à risque.

- On va prendre un bon bain en rentrant à la maison.

Son ton était un peu plus doux, mais rapidement, son regard froid se riva dans celui de Maddy, et elle reprit, polaire comme à son habitude.

- Tu en aurais bien besoin aussi.

Madeleine était rassasiée mais elle continuait de s'appuyer sur sa collègue pour le simple plaisir de lui enfoncer ses ongles dans l'épaule. C'était gratuit. Ca faisait du bien. Mais c'était sans compter le retour de flamme de cette dernière qui la plaça dans la ligne de mire d'un Parjure couvert de boue qui lui sauta dessus en tartinant bien toute la saleté sur ses vêtements propres. Une grimace et un grognement quittèrent les lèvres de la blanche qui sentit bien tout le plaisir qui émanait de sa rivale à cet instant.

Frottant la boue sur son tailleur immaculé comme si cela allait pouvoir changer la donne, elle redressa son regard acide vers la rousse et prononça ces mots avec un venin non dissimulé :

« Vu tes origines précaires, je ne vais pas te faire l'affront de te demander de payer pour le pressing, même si c'est la bêtise de ton chien. »

Un sourire arrogant vint ponctuer sa phrase alors qu'elle jetait un œil désapprobateur à l'animal, comme s'il l'avait trahi. Mais elle ne lui en tient pas rigueur bien longtemps et reporta son attention sur la harpie alors qu'elle cherchait comment l'asticoter une dernière fois avant de s'en aller ruiner sa pause chez le pressing - comme si elle n'avait que ça à faire de sa journée.

« En tout cas, c'est toujours un plaisir de pouvoir manger à ma faim. J'espère que tu n'as pas trop mal à la tête ? »

Demanda-t-elle ironiquement avec un ton faussement désolé, bientôt remplacé par un sourire narquois et un air hautain. Même avec de la boue sur son tailleur, elle ne perdrait pas la face devant la rousse.

Bien joué Madame Darkholme. Harper ne savait pas vraiment quoi répondre, comme à chaque fois que cette femme parlait de ses origines. Il avait fallu qu'elle croise un jour, un seul jour son frère et son accent texan à couper au couteau pour faire le rapprochement. Elle s’habillait bien, même à l’époque, mais le look de son cadet, un cowboy la dépassant de deux têtes et faisant le double de son poids, n’avait laissé personne indifférent. Il l’avait attrapé et soulevé comme un fétu de paille, devant tout le monde. Ce jour-là, elle avait dû dire adieu sa crédibilité. Qui eut cru que la reine des garces pouvait mettre au tapis un garçon bâti comme lui ? Harper était habituée à se battre contre ses frères, et adorait débourrer les chevaux récalcitrants. En un rien de temps, elle avait glissé sur le dos de son petit frère, entouré sa taille avec ses cuisses et sa tête entre ses coudes jusqu’à le faire tomber à terre. Le fait qu’elle soit en tailleur et en talons hauts ne l'avait absolument pas dérangé.

Son cadet sur le ventre, elle avait finalement tilté qu’elle était en pleine joute verbale avec son ennemie avant qu’il n’apparaisse. Harper avait violemment rougit et desserré sa prise. Un avantage que son ennemi n’avait pas hésité à utiliser pour la retourner comme une crêpe et l’écraser de tout son poids. “ Bah alors grande soeur, on se ramollit ? ” La rousse l’avait insulté de tous les noms, oubliant encore une fois qu'elle était en public. En tant qu’ainée, elle ne voulait pas perdre. Surtout pas contre ces petits monstres qui n’hésitaient jamais à utiliser leurs forces et leurs poids contre elle. Il l’avait finalement lâché… pour se rapprocher de Madeleine et la draguer ouvertement. Harper n’avait jamais eu aussi honte.

Oui, elle venait bien d’une famille de ranchers. Elle adorait son clan, mais reconnaissait sans peine qu’ils n’étaient pas les gens les plus subtils, ou délicats que la terre puisse porter. Rien à voir avec cette bourge de Maddy. Rien qu’à cette idée, la jeune femme avait envie de l’encastrer dans un mur. Elles n’avaient rien à voir l’une avec l’autre, et le fait que sa rivale puisse le souligner aussi ouvertement montrait à quel point elle se sentait supérieure. Cela l’enrageait. Harper ne pouvait pourtant pas donner libre court à ses pulsions meurtrières, pas ici. Elle avait tourné le dos à cette part enragée et incontrôlable d'elle-même. Elle laissa donc Madeleine gagner cette manche ci. Le fait qu'elle venait de se nourrir d’elle y était peut-etre pour quelque chose, la rousse était moins encline à répondre chaque fois qu’elle servait de buffet à volonté. Sûrement la fatigue.

Ouais, la fatigue.

Rentrant dans son bureau, elle se remit au travail, et quatre jours passèrent ainsi. La faim commençait à la tenailler sévèrement, et elle savait qu’il devait être de même pour Madeleine. A moins qu'elle ne se soit nourrie d’un autre, cette trainée en était bien capable. Harper ne savait pas pourquoi, mais cette idée, la simple mention de cette possibilité lui donnait envie d’hurler. Ouais, elle avait vraiment faim. Il était temps de trouver de quoi grignoter.

Ça tombait bien, elles étaient en pleine pause déjeuner. Maddy était en réunion avec leur manager et n’allait pas tarder à revenir, c'était donc le bon moment pour attaquer. La fourbe fermait son bureau à clé, rien de trop compliqué. Madeleine ignorait ce qu’était son bagréal, et Harper était volontairement floue sur le sujet. Pouvait-elle ouvrir les portes fermées ? Se téléporter ? Ou avait-elle simplement le double des clés ? Aujourd'hui, elle avait juste un double des clefs. Sa rivale prendrait des mesures pour la piéger si elle apprenait son don, tout comme elle le ferait si elle découvrit le sien. C'était de bonne guerre.

L'avocate entra dans le bureau, chercha du regard ce qu’elle allait manger ce midi, quand elle s'arrêta sur le porte monnaie de son ennemie. Bien en évidence. Oh oui, oui, oui, elle allait oser. L’ouvrant, elle ne savait pas vraiment ce qu'elle cherchait, et tomba sur sa carte bancaire pour riches. Un grand sourire se dessina sur son visage, alors qu’elle sortait le reste. Des pièces, des billets, des cartes de grandes enseignes… un vrai festin !

Presque avec lenteur, elle se posa à sa place, changea la hauteur du siège et de l'écran, avant de commencer à manger. Ah ! Elle se sentait revivre ! Madeleine entra dans le bureau au moment où, tenant la carte bancaire entre deux doigts, elle s'apprêtait à la mâcher. Une lueur de défi dans le regard, elle ne s'arrêta pas, mangea la seule survivante de son carnage avant de s’essuyer les lèvres d’un morceau de sopalin. Son portefeuille était vide, qu’allait-elle faire, hein ? La frapper ? Harper la regardait, la mettant au défi de perdre son calme.

La rousse rabattit son clapet pour le plus grand plaisir de la blanche qui ne dissimula pas son sourire mauvais, bien que dans le fond elle soit toujours agacée par l'état de son tailleur tout neuf. Adieu la pause détente dans le coffee shop habituel et bonjour le pressing à l'heure de pointe, sans compter le trajet de retour à la maison au préalable pour se changer. Note pour elle même : prévoir une tenue de rechange au bureau... quoique, cette harpie serait foutue de lui manger aussi.

Ainsi plusieurs jours s'écoulèrent suite à cette altercation et fort heureusement pour elle Madeleine avait pu se nourrir convenablement la veille, n'ayant aucun mal à ponctionner l'énergie de ses proies d'un soir comme la vicieuse manipulatrice qu'elle était. Un échange de bons procédés, tel qu'elle se plaisait à le dire. Même si aucunes de ses aventures nocturnes n'avait la saveur de sa plus grande rivale.

En parlant du loup, sa surprise fut mitigée lorsqu'elle retourna dans son bureau après la pause déjeuner et qu'elle y trouva la harpie en train de gober sa carte de crédit. D'un côté, c'était toujours une nouvelle crasse qu'elles se faisaient... de l'autre, elle s'en faisaient si souvent que ce n'était plus vraiment hors du commun. Cela expliquait d'ailleurs pourquoi elle avait senti ses forces s'amenuiser lors de sa réunion avec le manager. Alors voilà qu'elle resta quelques secondes la main sur la poignée de porte ouverte de son bureau à lever un sourcil tout en fixant la rousse.

« Tu es si désespérée par ta nature précaire pour en venir à manger ça ? »

Question qui n'en était pas une, du moins qui n'attendait pas de réponse en particulier, alors qu'elle refermait la porte de son bureau et venait poser sa veste de tailleur sur le porte-manteau derrière cette dernière.

« Par contre, tu vas bouger de mon fauteuil. J'ai pas envie qu'il s'abîme sous le poids de ta connerie. »

Déclara-t-elle d'un ton réprobateur en voyant bien que l'écran n'était pas à la même hauteur que d'ordinaire et que le siège devait probablement avoir été déréglé par cette harpie. Elle posa ses deux mains à plat sur son bureau et en profita pour jeter un œil à son portefeuille ouvert et vide. Roulant les yeux comme devant les frasques d'un enfant, elle finit par s'asseoir sur ledit bureau en croisant les jambes, saisissant dans son sac à main de quoi se remettre du rouge à lèvres.

« Tu en veux ? C'est une marque chère, tu n'as peut-être pas l'habitude. »

Elle lui tendit le tube avec un air détaché pour marquer son arrogance, toujours encline à lui rappeler des choses qu'elle n'aimait pas entendre. Pourtant, à l'heure actuelle la rousse se faisait probablement un salaire équivalent au sien et était largement aussi à l'aise financièrement. Mais lui rappeler qu'elles ne venaient pas du même monde était toujours un petit plaisir.

Harper haussa un sourcil, la question de Maddy n’en était pas une, et elles le savaient toutes les deux mais elle ne pouvait pas laisser passer cela, pas cette fois. L’avocate sinon, lui laisserait une porte d’entrée grande ouverte pour la tacler. Certes, c’était déjà un peu le cas, mais parfois, il fallait accepter de claquer le battant sur les orteils de son adversaire. Si en plus on pouvait lui faire mal, c’était tout bénef.

- Toujours parler d’argent… tu n’aurais pas un problème avec par hasard ?

Elle était amusée, cela pouvait s’entendre dans la légère modulation de sa voix. Pourtant, n’importe qui d’autre que son ennemie aurait été incapable de s’en rendre compte. Harper avait un timbre froid, un regard polaire, et ne laissait transparaitre aucune autre émotion qu’un ennui profond. Madeleine posa son manteau sur un porte manteau, et la rousse la regarda faire, tel un prédateur regardant un homologue approcher d’une proie qu’il s’était octroyé.

- Je dois t’avouer qu’il est un peu inconfortable, la tienne est tellement lourde qu’elle a dû le déformer avec le temps. Ton cul aussi. Tu as pris du poids non ?

Harper resta impassible, alors que l’approche de son ennemie, du fait qu’elle s’assoit à côté d’elle, lui donnait des sueurs froides. Croissant également les jambes, elle appuya son dos contre le dossier de la chaise, faisant tourner cette dernière légèrement en arrière. Elle regarda la femme qui lui faisait face sortir un rouge à lèvre de son sac à main, et quand Madeleine le lui tendit, Harper ne se priva pas.

- Merci bien, j’avais encore un petit creux

Attrapant le rouge à lèvre, elle le mangea sous les yeux de son ennemie. Puisque cette dernière voulait jouer au plus con, elle allait lui en donner pour son argent. Mâchant longuement, elle regarda, toujours avec défi la femme qui lui faisait face.

La rivale essayait de la piquer, sur des détails comme son poids, mais Madeleine était suffisamment confiante en elle pour ne pas se laisser démonter par de tels propos. Son pouvoir d'attraction n'était plus à prouver, et puis c'était de bonne guerre entre elles. Elle lui tendit donc le rouge à lèvre que cette dernière s'empressa d'enfourner dans sa bouche, lui arrachant une grimace de dégoût en imaginant le goût que cela pouvait avoir.

« T'en es vraiment rendue là ? »

Demanda-t-elle avec un mépris non dissimulé, alors qu'elle rentrait son porte-monnaie et son porte-cartes vides dans son sac à main, soupirant sur le fait qu'elle allait devoir faire des démarches auprès de sa banque et qu'elle n'avait vraiment pas que ça à faire. Elle quitta sa place assise sur le bureau pour venir se poster les bras croisés à côté de son siège devant l'ordinateur.

« Bon, tu bouges ? Contrairement à toi j'ai du travail sérieux à faire. »

Son regard était un peu plus agacé qu'à l'ordinaire, probablement parce qu'elle ressentait la faiblesse physique de s'être fait drainer son énergie par cette harpie vorace qui lui bouffait toutes ses possessions depuis la pause déjeuner.

Mais elle n'eut pas le temps de tergiverser plus longtemps car leur patron entra dans son bureau et demanda.

« Tu sais où est Har- Ah ! C'est parfait, justement je voulais vous voir toutes les deux. »

Un sourcil s'arque alors qu'elle balade son regard entre son boss et sa rivale, se demandant ce que l'homme pouvait bien leur vouloir à toutes les deux - surtout à toutes les deux ensemble en fait. Car leur animosité mutuelle n'était plus vraiment un secret pour personne, leur rivalité était devenue flagrante avec le temps pour ceux qui travaillaient dans les même étages qu'elles.

« J'ai un dossier, un très gros dossier, et je veux que vous soyez toutes les deux sur le coup. C'est notre plus grosse affaire à l'heure actuelle ; j'aimerais vous dire que vos carrières sont solides et qu'elles ne dépendent pas de ce dossier... mais je ne voudrais pas vous mentir. »

Une menace plus qu'un avertissement ; Madeleine fronça les sourcils en venant récupérer le dossier des mains de leur patron, bien peu enjouée à l'idée de devoir travailler avec Harper sur ce coup. S'il y avait bien une chose qu'elle ne pouvait s'imaginer, c'était de bosser coude à coude avec cette harpie. Et pour une fois, il semblerait que ses sentiments soit partagés par sa rivale.